Gérard OSTERMANN interviewé par Gérard FITOUSSI
Président de l’European Society of Hypnosis et secrétaire général de la Confédération francophone d’hypnose et thérapies brèves.
Gérard Ostermann est incontestablement un des acteurs importants du monde de la thérapie. Son humour et sa culture transpirent au travers de ce moment où il se raconte. Pouvez-vous nous parler de vous, de votre milieu familial, de vos loisirs ?
Gérard Ostermann : Je suis né à Le Blanc, une petite ville du Berry sud, dans le pays des mille étangs où il m’a été possible d’observer pendant mon enfance les fascinants feux follets. Mon père, ashkénaze de la haute bourgeoisie de Cracovie, est venu en France en 1938 pour faire ses études de médecine. Toute la branche paternelle d’origine ukrainienne était composée de juristes et d’avocats. Mon père a eu comme professeur de piano Arthur Rubinstein.
La guerre a tout balayé et mon père a dû abandonner ses études de médecine à Nancy et a organisé un réseau de résistance dans le Berry où il a rencontré celle qui allait devenir ma mère. Elle, est poète musicienne et toujours incroyablement vivante du haut de ses bientôt 89 printemps. Il y avait chez moi toute une bibliothèque de contes et légendes du monde entier et quantité d’ouvrages de mythologie que j’ai avidement dévorés. Le goût pour la mythologie a certainement favorisé mon inclinaison ultérieure pour la psychologie analytique Jungienne. Je me rappelle avoir lu des ouvrages sur le magnétisme et l’hypnose (Baron du Potet) à l’âge de 16 ans et cet intérêt n’était pas trop du goût de mon père.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel ? L’essentiel de mon activité clinique est la psychothérapie auprès de douloureux chroniques, de sujets addicts et de personnes victimes de traumatismes. Après mes études de médecine à Tours, j’ai commencé à Reims à découvrir le champ de la cardiologie. Je m’étais initié à l’échographie bidimensionnelle, à la coronarographie et à la mise en place de pacemakers. L’efficacité et la logique de cette discipline étaient extraordinairement narcissisantes pour le médecin en herbe que j’étais. J’ai mené conjointement à ma formation de cardiologue une formation de pharmacologie. J’ai eu la chance d’être formé en rythmologie (j’ai toujours eu aussi un goût certain pour la musique) à l’hôpital Lariboisière dans la grande équipe du Professeur Robert Slama, où j’ai côtoyé des chercheurs d’exception comme le Pr Philippe Coumel et le Dr Patrick Attuel. Responsable de l’USI, j’étais de plus en plus affecté par les tragédies qui se déroulaient devant moi (décès de sujets jeunes, attente de greffes, etc.).
Dans le suivi de consultations de sujets ayant subi un infarctus, je constatais un pourcentage notable de personnes sauvées, mais dépressives et incapables de revenir à la vie antérieure.
L’avènement de la coronarographie avait créé un bouleversement considérable chez des patients, souvent des patientes traitées depuis des années pour angine de poitrine et chez qui brutalement, à la suite d’une coronarographie négative, on annonçait qu’elles n’avaient rien. Malgré la bonne nouvelle tout leur étayage s’effondrait, elles étaient renvoyées à leur médecin et entraient souvent en dépression, manière de dire qu’il y a bien de la douleur anti-souffrance.
A cela je n’étais pas formé ! Je me disais déjà en moi-même, si c’est nerveux ce n’est pas rien, et que proposions-nous alors à ces patientes ? Je me sentais dans une grande contradiction entre une nécessité scientifique et éthique qui consistait à arrêter tout traitement à visée coronarienne non justifié, et un autre impératif éthique dans la manière d’annoncer des choses et de faire de réelles propositions thérapeutiques. Comment ne pas ajouter de la souffrance à la souffrance déjà existante et de la culpabilité à la souffrance ?
C’est à partir de là que j’ai commencé à m’intéresser à la relaxation : j’ai entamé une formation à Paris autour du training autogène de Schultz, et une formation au groupe Balint. J’allais régulièrement à Divonne-les-Bains rencontrer le grand Michel Sapir qui fut d’abord mon maître et avec qui s’est nouée progressivement une relation d’amitié. C’est grâce à Michel Sapir que j’ai senti en moi la nécessité de faire un travail personnel. Parallèlement, je me formais à l’hypnose auprès de Marc Brodin, Léon Chertok et Raphaël Cherchève. J’ai réalisé quelques coronarographies et explorations du faisceau de His, sous hypnose. J’ai créé en 1980 à Reims, grâce à l’ouverture d’esprit du doyen Serge Kochman, un DU de relaxation.
Au départ je souhaitais intituler ce DU Hypnose et Relaxation, mais le terme hypnose sentait encore le soufre ! Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que Jean Godin était venu assister à ce diplôme (c’est lui-même qui me l’a rappelé). Quel honneur ! Jean Godin est sans conteste celui qui a permis à l’hypnose de se développer en France. S’il m’a été donné de pouvoir échanger avec lui, je n’ai malheureusement pas pu suivre sa formation.
Après m’être spécialisé en pharmacologie et en cardiologie, j’ai travaillé près d’une année (1981-1982) à Houston, au Baylor College of Medicine. J’y ai appris surtout la rigueur méthodologique. En 1983, après mon agrégation de médecine, je suis nommé au CHU de Reims dans un service de médecine interne à orientation diabétologique et endocrinologique. Je vais réaliser une recherche sur l’hypnose avec le Professeur Jean Caron, endocrinologue. Nous avons montré que sous hypnose, il était possible de modifier la production d’hormones de stress et ceci fut publié au 1er Congrès mondial de psychoneuroendocrinologie.
En 1989, je décide de quitter Reims et de m’installer comme thérapeute à Bordeaux après avoir fait mon parcours analytique (Freud puis Jung).
Que retenez-vous de vos rencontres avec David Servan- Schreiber et Boris Cyrulnik ? Dans les années 2000, j’ai eu la chance de pouvoir participer à un travail sur l’inceste avec Boris Cyrulnik. Son livre Sous le signe du lien m’a fait comprendre qu’il faut deux hommes pour en faire un. Il m’a invité à intégrer son groupe de travail transdisciplinaire sur la résilience (résilience et biologie, résilience et culture…).
La résilience (sorte d’antidestin) est un chapitre des théories de l’attachement que nous devons à John Bowlby. J’ai participé à Genève à un séminaire avec Daniel Stern et Nadia Bruschweiler-Stern.
Pour eux, l’intersubjectivité est également un système motivationnel incroyablement important qui contribue à établir toute la sociabilité émotionnelle. Francine Shapiro, que j’ai eu le bonheur de connaître grâce à David Servan-Schreiber, publie en 1989 la première étude scientifique contrôlée sur l’EMDR. Le pari de cette méthode était de supprimer la souffrance liée à un traumatisme par le recours au langage et à des éléments neurologiques. Je fais partie des 100 000 thérapeutes formés à l’EMDR dans le monde. Si je ne fais pas de cette méthode une panacée, elle constitue cependant un outil majeur dans la boîte à outils thérapeutique lorsqu’il existe un psychotraumatisme.
Quelle est votre appréciation de l’évolution de l’hypnose en France ? Si l’essor de l’hypnose est indiscutable, il ne faut pas nier le risque d’un effet boomerang : bien souvent il est parlé d’hypnose alors qu’en réalité il ne s’agit que de relaxation couvrante. Le risque est de voir l’hypnose noyée dans un ensemble méditation-relaxation, dont l’intérêt n’est certes pas discutable, mais qui efface l’hypnose comme véhicule vers la transe.
Que faut-il pour que l’hypnose trouve toute sa place dans le système de santé ? La pierre angulaire est la formation initiale en précisant bien les points de distinction entre ce qui appartient au champ de l’hypnose et ce qui est du registre de la relaxation.
Quel message essentiel voulez-vous transmettre à ceux que vous formez ? Travailler la posture, revenir à Soi, se donner un espace de sécurité. Arrêtez de vouloir bien faire. S’occuper de Soi dans la relation.
Quels ouvrages recommanderiez-vous ? Il y a quelque chose de très arbitraire et éminemment subjectif dans la sélection. Toutefois je recommanderais volontiers :
– François Roustang, Qu’est-ce que l’hypnose ? Les Editions de Minuit, 2003
– Thierry Melchior, Créer le réel. Hypnose et thérapie, Seuil, 1998
– Jean Becchio et Charles Joussellin, Nouvelle hypnose psychodynamique, Desclée de Brouwer, 2009
– Antoine Bioy et Pascal-Henri Keller, Hypnose clinique et principe d’analogie, De Boeck, 2009
– Gaston Brosseau, L’hypnose, une réinitialisation de nos cinq sens, InterEditions Dunod, 2018
– Jean-Marc Benhaiem, Julie Cosserat, Marc Galy Etre là, Flammarion, 2018
– Giorgio Nardone, Camillo Loriedo, Jeffrey Zeig, Paul Watzlawick, Hypnose et thérapies hypnotiques, Enrick B. Editions, 2019.